Difficile d’aborder le génie de Monsieur Ray Charles sans faire allusion à son histoire intime. Car ce petit gars hilare derrière son piano, ce type flamboyant, à l’insouciance charmante, traîne derrière lui un bagage personnel qui en aurait mis KO plus d’un. Mais Charles lui, imperméable à l’aigreur qui macère d’originaire dans les veines de ceux dont l’existence est altérée par l’injustice profonde, insuffle dans cette vie qui ne lui fait aucun cadeau une légèreté effervescente, tout simplement irrésistible. 

Né noir et indigent alors que la ségrégation fait rage, il saisit rapidement que la loterie de la vie ne l’a pas vraiment dans ses petits papiers. Très vite le petit Ray contracte un glaucome et voit son monde se flouter, petit à petit, et inexorablement. Une cécité qui n’attendrit personne dans l’Amérique ségrégationniste de la Grand Dépression. Le sadisme de son destin atteint son paroxysme lorsque son frère se noie sous son regard opaque et impuissant. Il a alors cinq ans. Mais du terreau nauséabond de cette adversité écrasante naitra un miracle. Une voix. Un talent précoce et solide pour la musique, une lueur assez vive pour éclairer les ténèbres d’un quotidien âpre. Une porte de sortie. Qu’il empruntera tout naturellement à peine sorti de l’adolescence. Direction Seattle, les clubs enfumés de jazz et les excès qui vont avec. 

C’est donc un homme passé par tout le prisme des tourments – y compris ceux de l’addiction – qui s’exprime avec une grâce déconcertante sur cet album. Dix ans déjà qu’il traine son indéfectible sourire sur scène, subjuguant tout ceux qu’il croise, redéfinissant, l’air de pas y toucher, tout un pan de la musique populaire américaine, mêlant blues, jazz, country et gospel, qu’il dévergonde éhontément au passage. Une synthèse efficace de tous les courants qui résonnent en lui, bientôt baptisée soul, qui séduit un public de plus en plus universel. Il est intronisé The Genius par un certain Sinatra, au grand dam du King Elvis, de Lady Aretha et autre parrain James Brown. Allez donc détrôner un génie! Bonne chance les enfants. 

The Genius of Ray Charles marque donc un tournant dans sa carrière, le faisant entrer dans tous les foyers. Il faut dire que le Monsieur sait s’entourer des meilleurs : Quincy Jones, ami de longue date et arrangeur surdoué bientôt légendaire, officie sur cette opus. L’album s’imbibe tantôt d’une exubérance élégante, tantôt de complaintes amoureuses bluesy, passant avec aisance et naturel de ballades au potentiel de liquéfaction romantique difficilement égalable – It Had to Be You, You Won’t Let Me Go, Tell Me You’ll Wait For Me – aux démonstrations de classe enjouée galvanisées par un orchestre virtuose – Let The Good Times Roll, Alexander’s Ragtime Band. Une relique de l’entrée de Ray Charles dans la cours des grands, jusque là limitée par des éditions passées plus que passables. Masterisée à partir des bandes originales mono, la version SACD hybride MoFi de The Genius of Ray Charles rend enfin justice à ce classique d’une figure papale du Rhythm and Blues. 

-★- TRACKLIST -★-

1. Let the Good Times Roll
2. It Had to Be You
3. Alexander’s Ragtime Band
4. Two Years of Torture
5. When Your Lover Has Gone
6. Deed I Do
7. Just for a Thrill
8. You Won’t Let Me Go
9. Tell Me You’ll Wait For Me
10. Don’t Let the Sun Catch You Crying
11. Am I Blue
12. Come Rain or Come Shine