Seul album de Julian Cannonball Adderley paru chez Blue Note, Somethin’ Else restera sans aucun doute à jamais gravé dans les mémoires mélomanes, ne serait-ce qu’en raison de la contribution d’un certain Miles Davis à son élaboration. L’iconique compositeur/trompettiste joue le rôle du fidèle compagnon de route sur cet opus de 1958, fait devenu rarissime depuis le milieu des fifties, et l’explosion de sa cote de popularité. Cependant, évaluer Somethin’ Else en se basant uniquement sur l’implication de Davis sous entendrait de passer à côté de l’essentiel. Tout simplement parce que l’ouvrage jubilatoire d’Adderley reste une référence en matière de jazz en raison de l’alchimie à l’œuvre entre lui et ses collaborateurs cinq étoiles, la sophistication de ses arrangements, la superbe de sa production, et la présence dans sa tracklist de deux grands standards du jazz, interprétés avec un brio indéniable. 

Limitée à 6 000 exemplaires numérotés, masterisée à partir des bandes originales – du master analogique 1/4″ / 15 IPS vers DSD 256 – et pressée sur SuperVinyl MoFi chez RTI, cette édition collector double vinyle Mobile Fidelity UltraDisc One-Step 180g 45RPM de Somethin Else rend divinement hommage aux mérites de ce disque mythique, et inclut au passage le délicieux titre bonus « Allison’s Uncle ». En proposant une reproduction sonore de haut calibre, cette superbe réédition offre une expérience claire, transparente et ultra-dynamique, au plus près d’un enregistrement fondamental qui voit Adderley et Davis se partager les cuivres pour la seule et unique fois de leur légendaire carrière – un réjouissant aménagement résultant de l’arrivée d’Adderley dans le majestueux sextet de Davis un an plus tôt.

La présentation haut de gamme de ce pressage UD1S de Somethin’ Else est à la hauteur de son caractère extrêmement raffiné. Niché dans un coffret élégant, il présente des pochettes spéciales  estampillées MoFi et des graphismes fidèles à ceux de l’oeuvre originelle reflétant la splendeur de l’enregistrement. Autant sur le plan visuel qu’acoustique, cette réédition UD1S incarne l’objet de collection musical par excellence, destiné à être précieusement conservé, manipulé et admiré. Elle a été pensée pour les auditeurs exigeants qui attachent autant d’importance à la qualité du son et sa production, qu’à la beauté de l’objet en lui même.

La puissance vibrante de cet orchestre se révèle avec panache sur un enregistrement qui reproduit pleinement le jeu du pianiste Hank Jones, du contrebassiste Sam Jones et du batteur Art Blakey. Chaque coup de caisse claire, chaque contretemps et chaque impact sur les cymbales de ce dernier prennent des dimensions follement réalistes, évoluant comme ils l’auraient fait devant vous, sur scène. Les lignes de basse sublimes de Jones sont d’une profondeur et d’une palpabilité peu communes, la légèreté des cordes et la souplesse de l’instrument incarnant la définition même du rythme. Hank Jones n’est pas en reste : la gamme, la tonalité et la dynamique de son piano sont sublimes, et la précision de son jeu est telle que l’on peut pratiquement dissocier mentalement touches blanches et noires. Quant à l’interaction fluidissime entre Adderley et Davis, elle est d’une authenticité époustouflante par son timbre, son naturel, sa pureté et sa présence. Cette version remarquable vous emmène là, dans le légendaire studio de Rudy Van Gelder, dans le New Jersey, en mars 1958, pour assister à tout cela, encore et encore.

Pour des raisons qui vont bien au-delà de son jeu exceptionnel et de son répertoire impeccable, Somethin’ Else est sans aucun doute un enregistrement que vous aurez toujours plaisir à contempler et écouter prendre forme. Comme l’a écrit le critique chevronné Bob Blumenthal à propos de l’album quatre décennies après sa sortie, « la symbiose instantanée que le quintette a su créer est le produit d’une histoire commune, bien que la tension qu’il crée tout au long de l’album soit totalement unique et peut être attribuée à la sensibilité musicale de toutes les personnes concernées, y compris le leader et le batteur, supposés être des durs à cuire » Cette émotion inimitable est présente dans chaque passage, et nulle part de manière plus évidente que sur les pistes « Autumn Leaves » et « Love for Sale ».

Il ne fait aucun doute que les interprétations subtiles des chansons de Johnny Mercer et de Cole Porter, respectivement, que l’on trouve sur Somethin’ Else, ont longtemps été considérées comme faisant partie de la mystique séduisante du jazz. Sur « Autumn Leaves », Adderley et Davis apportent des approches contrastées, mais font preuve d’esprit commun. Trompette en sourdine et saxophone alto luxuriant se conjuguent dans une performance qui reste un modèle en matière d’expression, de contraste, de sophistication, de fluidité et de linéarité. Blues, mélodie et romantisme émanent de leurs cuivres. Leurs camarades s’imprègnent de cette atmosphère intime et tranquille, ainsi que de l’esprit pétillant de « Love for Sale », et se joignent à la conversation avec un sens aigu de l’économie et de la rondeur.

Il ne faudrait pas pour autant sous-estimer les trois autres morceaux, qui méritent tous cinq étoiles. D’une durée de douze mesures, le morceau-titre offre un swing délicat. Écrit par Nat, le frère d’Adderley, le morceau « One for Daddy-O » distille des accents funk. Le dernier morceau, « Dancing in the Dark », est riche et stimulant, avec son flot de couleurs vives et de textures subtiles qui invitent à virevolter au clair de lune, ou tout au moins à imaginer une nuit mémorable. Somethin’ else, en effet.

1. Autumn Leaves
2. Love for Sale
3. Somethin’ Else
4. One for Daddy-O
5. Dancing in the Dark
6. Allison’s Uncle