Alanis Morissette – Jagged Little Pill – 180g. 45RPM – 2LP

Lorsqu’Alanis Morissette s’en est prise directement à un ex qui lui avait fait du tort dans la chanson cinglante « You Oughta Know » en 1995, tout dans ce titre classé dans le Top 10 indiquait qu’il ne s’agissait pas d’une simple chanson sur une histoire d’amour qui tourne mal. Ni d’une chanteuse blessée adepte de l’auto-apitoiement. Morissette, son premier single et l’ensemble de son premier album américain  — le très personnel Jagged Little Pill  — ont incarné un tournant radical. Ils ont lancé un mouvement dont l’impact continue de résonner dans le mainstream près de trois décennies plus tard. 

Classé 69e meilleur album de tous les temps par Rolling Stone, inclus dans la liste des 200 albums incontournables du Rock and Roll Hall of Fame et présenté dans plusieurs ouvrages consacrés aux albums immanquables, Jagged Little Pill reste bien plus qu’un simple succès commercial qui s’est vendu à plus de 17 millions d’exemplaires aux États-Unis et à 33 millions d’exemplaires dans le monde. C’est une prise de position, une attitude, une bande originale pour tous ceux qui recherchent l’inspiration, un exutoire ou la permission d’être eux-mêmes.

Issu des bandes originales – de la bande analogique 1/2″ / 30 IPS au DSD 256, à la console analogique, au tour – pressé chez Fidelity Record Pressing sur MoFi SuperVinyl et strictement limité à 4 000 exemplaires numérotés, le coffret UltraDisc One-Step 180g 45RPM 2LP de Mobile Fidelity présente pour la première fois Jagged Little Pill dans une qualité audio exceptionnelle. Un élément clé de l’attrait et de l’accessibilité de l’album — la production fluide de Glen Ballard, qui rend les compositions à fleur de peau de Morissette plus accessibles et mélodiques — transparaît dans cette édition spéciale 30e anniversaire avec une ouverture, une présence et une puissance dynamique qui rendent les chansons de la chanteuse encore plus authentiques et viscérales. 

La voix de mezzo-soprano caractéristique de la chanteuse — ses aigus cristallins, ses graves profonds, ses crescendos théâtraux, ses refrains puissants, ses réflexions éthérées et même, ses yodels occasionnels — résonne avec une ardeur et une profondeur sans pareilles. Tout aussi cruciales que le reste de l’album, les paroles confessionnelles de Morissette occupent le devant de la scène comme jamais auparavant. Il en va de même pour l’instrumentation et l’atmosphère qui constituent la toile de fond magnétique des chansons. Cette réédition impeccable souligne notamment les contributions de Dave Navarro et Flea des Red Hot Chili Peppers sur « You Oughta Know » et le jeu d’orgue de Benmont Tench, cofondateur de Tom Petty & the Heartbreakers, sur six titres.

Le packaging luxueux du coffret UD1S Mobile Fidelity de Jagged Little Pill souligne le statut exceptionnel de l’œuvre. Présentés dans un écrin superbe, les vinyles sont accompagnés de pochettes spéciales estampillées d’un film métallisé, avec des graphismes fidèles à l’original, qui mettent en valeur la splendeur de l’enregistrement. Bénéficiant d’un bruit de fond ultra-faible, d’une définition supérieure des sillons et d’une surface parfaitement silencieuse, cette réédition UD1S s’adresse aux auditeurs appréciant la qualité sonore, et souhaitant s’immerger dans tout ce qui concerne l’album, y compris sa pochette emblématique – qui juxtapose deux portraits de la chanteuse-compositrice alors âgée de 21 ans, et une typo de machine à écrire. 

Ce texte, qui évoque un document brut, écrit sans l’aide d’outils modernes tels que les correcteurs orthographiques, laisse entrevoir le niveau élevé d’intimité, d’honnêteté et de catharsis que Morissette offre tout au long de Jagged Little Pill. Nommé d’après une phrase prononcée dans la brillante chanson « You Learn », l’album explore les émotions sincères, les contradictions et les désirs utopiques que les gens ressentent tous les jours, mais qu’ils ont souvent trop peur d’exprimer. Morissette, elle, ne montre aucune appréhension ni timidité de ce genre.

À l’instar d’une jeune femme qui lirait publiquement son journal intime, Morissette ne laisse aucune place à l’imagination lorsqu’elle dénonce l’hypocrisie dans la poignante « Forgiven », cherche à obtenir réparation dans la vindicative « You Oughta Know » et se confie sans détours dans la cathartique « All I Really Want ». Malgré toute la colère qui transparaît dans la voix de la chanteuse au fil de l’album, Jagged Little Pill est incroyablement serein et optimiste. Morissette utilise des structures pop-rock entraînantes et une ambiance mélancolique pour analyser des situations, apprendre et donner de l’espoir. On retrouve le désir intelligent de « Hand in My Pocket », le cynisme de « Ironic », la bienveillance de « Hand over Feet » et la philosophie de lâcher-prise de « You Learn » – toutes positives et bienveillantes.

Tout au long de Jagged Little Pill, Morissette, très proche de son public, établit un lien avec les auditeurs qui se reconnaissent en elle et engage une conversation intelligente avec tous ceux qui souhaitent y participer. Il semble que nombreux sont ceux à l’avoir fait. En plus des ventes colossales qui ont fait de cet album le 17e plus vendu de l’histoire des États-Unis, Jagged Little Pill a remporté quatre Grammy Awards, deux American Music Awards, trois Billboard Music Awards et huit Juno Awards. En 2018, l’album a servi de base à une comédie musicale qui a remporté 15 nominations aux Tony Awards à Broadway.

Ironique ? Pas du tout. Jagged Little Pill transcende les générations, les genres et les tendances. Comme Morissette le chante dans le morceau d’ouverture « All I Really Want », l’album représente une « délivrance »  — « un lieu où trouver un terrain d’entente ».