À sa sortie en 1972, l’influent On the Corner de Miles Davis était tellement en avance sur son temps que les connaisseurs du jazz considéraient sa composition révolutionnaire comme médiocre. Pourtant, le temps a le don de redresser les torts et de changer les points de vue en ajoutant le contexte et la perspective nécessaires aux idées, à la musique et aux approches visionnaires – comme celles qui remplissent l’entreprise la plus audacieuse et la plus controversée de Davis. Conçu pour remettre l’accent sur le groove et les fréquences basses, le disque On the Corner, chargé de funk, a révolutionné le jazz. Il a également établi de nouvelles normes pour la production de disques, précédant de plus d’une décennie le remixage et l’électronique. Et ce travail n’a jamais sonné de manière aussi passionnante.

De nouveaux niveaux d’espace et d’aération – tout aussi importants pour les arrangements de musique concrète – donnent l’impression que les créations de Davis et Cie flottent dans l’espace.
Les instruments sont représentés de manière tridimensionnelle, les boucles rythmiques conservent leur pureté tonale et les solos de cuivres parcourent une scène sonore extra-large qui transporte les auditeurs dans le Studio E de Columbia. Notre version numérique capture la production innovante de Teo Macero – et les collages sonores avant-gardistes du trompettiste – de manière définitive.

Fortement inspiré par Sly and the Family Stone, On the Corner dépeint les vibrations de la rue et reste le disque le plus noir de Davis. La tentative consciente de se rapprocher d’un public jeune, branché sur le rock et le funk, est évidente non seulement sur la pochette colorée représentant des fêtards en pantalons et zoot-suit, mais aussi dans la musique qui met l’accent sur les grooves récurrents de la batterie et de la basse. Distinct des expériences de fusion précédentes de Davis, le set longtemps incompris de l’album réduit l’improvisation au profit de rythmes, de boucles et d’atmosphères qui génèrent des effets de transe. Alors que Davis fait appel à son groupe pour les tâches principales – Chick Corea et Herbie Hancock figurent en bonne place – il s’appuie également sur une équipe de sidemen pour les solos concentrés et le soutien supplémentaire.

Le rythme constituant la base, les autres notes se mettent en place, leur positionnement étant guidé par Macero et les méthodes de la salle d’édition de Davis. S’inspirant du travail de Karlheinze Stockhausen, basé sur la manipulation, et faisant équipe avec Paul Buckmaster, disciple de Stockhausen, Davis réimagine ce que les grooves constituent et peuvent accomplir tout au long de l’album On the Corner. Les formes des chansons se transforment complètement au fur et à mesure qu’elles progressent. De faibles mélodies, des accords spatiaux, des riffs épais, des remplissages wah-wah et des motifs répétés rebondissent dans un funhouse sonore qui n’aurait rien à envier à une fête de quartier de Harlem. Exotique, intrépide et imprégné du « son de la jungle » de Davis, On the Corner reste audacieusement branché plus de quarante ans plus tard.

1. On the Corner/New York Girl/Thinkin’ One Thing and Doin’ Another/Vote for Miles
2. Black Satin
3. One and One
4. Helen Butte/Mr. Freedom X