Bob Dylan – Blood on the Tracks (SACD)

Au milieu des seventies, Bob Dylan se trouve à différents tournants de sa vie. Artistiquement, il est considéré comme ayant largement dépassé la fleur de l’âge. Sur le plan émotionnel, il souffre des affres d’un douloureux divorce avec sa femme de l’époque, Sara Lowndes. Créativement parlant, il paraît dans une impasse, la série de brillants projets révolutionnaires de la décennie précédente étant clairement achevée. Puis vint Blood on the Tracks.

Véritable feuilleton qui documente la quête, la séduction et la perte d’une femme par un homme amoureux, l’album de 1975 – d’une étonnante intimité pour le très sauvage Dylan – reste l’un des albums de rupture les plus exhaustifs jamais réalisés, et se classe comme l’œuvre la plus personnelle de la carrière du Barde. L’écouter, c’est faire l’expérience de l’agonie, de la frustration, du traumatisme, des hauts et des bas, de la confusion, de la tristesse et, en fin de compte, de la rédemption nécessaire inhérente aux relations amoureuses qui ont mal tourné. Dylan soutient qu’il s’agit d’une œuvre de fiction, mais la part autobiographique évidente qui la caractérise est ce qui contribue à la rendre si universelle : c’est l’icône qui chante « à chaudes larmes », qui perd la tête, lutte contre le vide sidéral, tire quelques coups de feu dans ce même vide, et reconnaît sa propre culpabilité. En bref, il s’agit d’une illustration parfaite des aspects les plus sombres de l’amour et des conséquences des rêves qui se brisent.

En présentant à la fois les chansons acoustiques solo et celles soutenues par le groupe avec clarté, dynamique et immédiateté, ainsi qu’une image et un équilibre optimaux, cette version met en lumière un phrasé fluide, des changements de timbre, de rythmes, et un jeu de cordes intimistes qui contribue à faire de chaque chanson une véritable confession.

Malgré toute la douleur mélancolique, les questions restées sans réponses, les souvenirs brisés, le temps perdu, les conversations en suspens et les regrets, Blood on the Tracks demeure aussi audacieux qu’il est profond. Plutôt que de suivre une voie monotone et caustique, les chansons de Dylan creusent dans le subconscient pour y trouver leur équilibre, leur douceur et, à l’occasion, leur caractère paisible. La dignité, l’honneur, la poésie et la justice – autant de traits peu communs dans toute situation où des partenaires dissolvent leur histoire et se rejettent la faute – confèrent au disque un caractère équilibré, à l’image de la cohérence et l’harmonie de ses mélodies.

Tout au long de l’album, les morceaux s’enchaînent et se succèdent comme s’ils pouvaient durer à l’infini, Dylan égrenant vers et dialogues poétiques au milieu d’un entrelacs de notes et d’accords finement ficelés : une architecture d’une simplicité trompeuse qui évoque un bijou, et ses différentes intrications, couleurs et textures se rejoignant en un tout somptueusement indissociable.

Soutenu par la basse subtile de Tony Brown, la guitare à pédales country de Buddy Cage et l’orgue de Paul Griffin – un instrument utilisé ici pour assombrir, cacher puis mettre en lumière un rock habité – Dylan émeut, et fait couler son propre sang. Assez en tout cas pour être classé 16ème sur la liste du magazine Rolling Stone des 500 meilleurs albums de tous les temps.

1. Tangled Up in Blue
2. Simple Twist of Fate
3. You’re A Big Girl Now
4. Idiot Wind
5. You’re Gonna Make Me Lonesome When You Go
6. Meet Me in the Morning
7. Lily, Rosemary and the Jack of Hearts
8. If You See Her, Say Hello
9. Shelter From the Storm
10. Buckets of Rain